Professeur emblématique de Nice Judo, Miche Carrière a accepté de lever une partie du voile sur sa méthode et sur sa conception du judo. Il évoque également les difficultés que son club rencontre actuellement.
Bonjour Michel Carrière, on vous connaît comme entraîneur mais on connaît moins votre parcours de judoka. Quel est-il ?
J'ai commencé le judo vers 10-11 ans au Cercle JudoTaï et Shin à Nice, sous la houlette de Pierre Baboulin. J'ai eu la chance qu'il fasse venir au club un Japonais, Me Hirano qui m'a appris le judo et qui demeure le plus extraordinaire judoka que j'ai eu l'occasion de voir. Je me suis ensuite entraîné au Sport-Etudes de Nice avec José Allari, puis au Sport-Armée de Marseille avec Jean-Paul Coche. Malheureusement j'ai subi de nombreuses blessures, dont deux ruptures consécutives du tendon d'Achille et une tumeur aux côtes qui m'ont contraintes à arrêter la compétition alors que j'avais une vingtaine d'années. Je me suis alors tourné vers l'enseignement, en secondant Pierre Baboulin dans mon club d'origine. J'ai également continué à m'entraîner sous la direction de José Allari au Stade Laurentin et j'ai passé mes « dan » (ndlr : Michel Carrière est actuellement 6e dan), car je considère que c'est un élément important de la carrière d'enseignant, une forme de qualification professionnelle.
Quand avez-vous créé Nice Judo et quelle a été son évolution au niveau des résultats ?
J'ai repris le club de Pierre Baboulin en 1986 et l'ai renommé Nice Judo. Le premier résultat probant a été une victoire aux championnats de ligue seniors par équipes en 1989, dans le même temps j'ai commencé à former de jeunes judokas qui ont grandi et progressé ensemble au sein du club. C'est ce qui nous a permis d'obtenir notre premier résultat national en 2001 avec la victoire de l'équipe cadets au Championnat de France. Depuis nous avons cumulé 14 podiums nationaux par équipes en cadets, juniors et seniors, avec des judokas pour la plupart formés au club.
Ces résultats interpellent, quel est votre secret ?
Je dois avoir de la chance ! Je ne pense pas avoir de secret, mais il y a une notion qui est très importante à mes yeux, c'est celle de groupe. Je m'attache à ce qu'il y ait des liens forts entre mes judokas, je m'intéresse aux jeunes, je les aime et une relation forte s‘installe entre eux et moi. Si l'un d'entre eux éprouve des difficultés, on s'attache tout de suite à résoudre le problème. Et lorsqu'il remonte la pente, cela insuffle une énergie positive qui rejaillit sur tout le groupe. Avec le temps, cela permet de créer des liens quasi fraternels entre les combattants.
En termes de contenu d'entraînement pouvez-vous nous dévoiler quelques éléments de votre façon de fonctionner ?
Avec les plus jeunes ce qui compte c'est qu'ils prennent du plaisir ensemble sur le tapis, que des liens se développent et qu'ils aient envie de continuer. Les bases motrices et techniques sont transmises à leur insu à travers des jeux et des exercices. Ensuite à partir des poussins, on entre dans le travail technique avec pour objectif de leur offrir la plus grande variété possible. Il ne faut pas contraindre le judoka dans un cadre technique trop restrictif mais au contraire lui fournir les armes pour qu'il puisse par la suite exprimer son propre judo. Avec les benjamins, qui travaillent également avec les minimes, je propose un fonctionnement par ateliers de 3 ou 4 et j‘interviens dans chacun d‘entre eux. Ils disposent de trois séances de 1h30 par semaine. Enfin, pour les cadets-juniors-seniors, il y a deux entraînements par semaine au club durant lesquels on insiste sur le travail technique, et deux séances au Pôle, qui sont obligatoires, et auxquelles j'assiste accompagné de Franck Costi et Arnaud Blanc, tous deux formés au club, et qui font aujourd‘hui partie de l‘encadrement. De manière générale, pour toutes les catégories, de poussins à seniors, il y a à chaque entraînement, en plus des randoris, un élément de technique debout et un élément de technique au sol.
Poussez-vous les enfants à faire beaucoup de compétition ?
La compétition est à double tranchant, il faut donc faire très attention. En benjamins lorsqu'arrivent les premiers championnats, je n'envoie que ceux qui sont capables selon moi de se classer parmi les cinq premiers. Pour les autres, je préfère les diriger vers des rencontres amicales comme notre challenge interne où tous les judokas sont récompensés. Si un enfant subit plusieurs revers de suite, il est tenté d'arrêter, car en judo la défaite est plus humiliante que dans d'autres sports : on ne peut pas la partager comme dans les sports collectifs, on doit saluer son vainqueur, il y a le regard des copains et des parents...
On a l'image d'un club qui pratique un beau judo. Etes-vous adepte du style traditionnel « revers-manche » à la Japonaise ?
J'insiste beaucoup sur le travail technique mais je ne suis pas un adepte du style traditionnel de manière formelle. Beaucoup de mes judokas pratiquaient kata-guruma ou la prise de l'ours lorsque cela était encore autorisé. Ce qui compte dans le judo moderne, c'est l'efficacité, donc cela ne me dérange pas que l'on sorte des sentiers battus si cela est efficace. Je constate d'ailleurs que même au Japon, des combattants gagnent en allant chercher derrière la tête. Mais la technique demeure un moyen privilégié pour être efficace ; gagner par ippon reste le but car cela permet de moins se fatiguer. Si vous arrivez en finale en ayant remporté tous vos combats par ippon, vous disposez d'une fraîcheur qui peut faire la différence si elle est supérieure à celle de votre adversaire.
Y-a-t-il des entraîneurs qui vous ont influencé ?
Je partage la vision d'un judo technique de celui qui fut mon premier professeur, Me Hirano. J'ai également été influencé par Bernard Midan (8e dan) qui était conseiller technique dans la région PACA et qui me disait alors que j'étais encore très jeune, « Un jour, tu seras un bon professeur ». Je pense souvent à lui. J'ai également été influencé par José Allari, par son charisme et son côté meneur d'hommes.
Avez-vous déjà été sollicité par la fédération pour faire partager votre expérience ?
Non. Ni par la fédération, ni par la ligue PACA. Je dis cela sans amertume, car je ne recherche pas les honneurs. Je ne tire pas de fierté particulière des bons résultats du club, mon plaisir je le trouve dans la joie de mes judokas et dans les moments vécus ensembles. Aux championnats de France par équipes, quand je vois des garçons comme Florent Urani, Arnaud Blanc et les autres se tomber dans les bras en larmes, c'est ça ma vraie récompense. Maintenant, pour en revenir à la question, si on me sollicitait, je partagerais volontiers mon expérience.
Plusieurs de vos judokas s'entraînent sur Paris, comment faites-vous pour continuer à les suivre ?
Déjà je tiens à préciser que tous les juniors restent au Pôle Espoir à Nice, où ils bénéficient d'un très bon encadrement, et que je ne les envoie pas en Pôle France. A partir de seniors, les meilleurs vont à Paris et ils s'entraînent à l'INJ, car c'est indispensable pour qu'ils puissent continuer à progresser.
A Paris, ils sont suivis par Waldemar Legien qui leur propose trois séances techniques par semaine le matin dans son club et qui les suit lors des entrainements à l'INJ. Son apport est indéniable, c'est un grand technicien qui a des solutions pour tout, qui a déjà réfléchi à toutes les problématiques du judo. Il n'est certainement pas étranger à la médaille de bronze obtenue par notre équipe seniors aux championnats de France cette année.
Quels sont les perspectives d'évolution pour votre groupe seniors ?
C'est un point sur lequel je suis très pessimiste car je ne dispose pas du budget pour pouvoir les sortir à l'international. La saison prochaine nous ne pourrons probablement pas disputer la Coupe d'Europe pour laquelle nous sommes qualifiés et je n'aurai vraisemblablement pas la possibilité d'envoyer mes meilleurs combattants sur des World Cup. La subvention qui m'est octroyée par la Ville de Nice pour le haut-niveau ne nous le permet malheureusement pas. Je trouve cela vraiment dommage, car tous les combattants du club ont grandi à Nice, mais il arrive un moment où ils ne peuvent plus progresser. Cela a déjà été le cas avec Jean-Marc Boutet, et c'est actuellement le cas avec Arnaud Blanc qui a peu d'occasion de se frotter au niveau international. Florent Urani a fait le choix de rester, malgré les sollicitations d'autres clubs, mais comme pour les autres, il ne pourra disputer les tournois internationaux que s'il est envoyé avec l'équipe de France.
Votre club est-il en difficulté financière ?
Il y a deux ans j'ai du renoncer à disputer la Coupe d'Europe car on m'a prévenu quelques jours avant que je n'aurais pas la subvention pour le faire. Suite à cela, une promesse d'aide m'a été faite par la mairie pour la saison suivante et j'ai engagé des athlètes sur des tournois internationaux, mais l'argent ne m'a jamais été versé. J'ai donc été contraint de payer les sommes engagées avec des fonds propres, ce qui m'a contraint à mettre le dojo en vente. Lorsqu'il sera vendu, une partie des cours basculeront alors dans le dojo de 200 m2 que la Ville nous met à disposition et où le groupe seniors s'entraîne déjà.
Une fusion avec l'Olympic Judo Nice est-elle possible ?
Cette solution ne me parait impossible, nos deux clubs étant fondamentalement différents : ce qui m'intéresse c'est le travail de formation, je travaille avec des petits groupes de judokas que je fais grandir pour les amener à haut-niveau, tandis que l'Olympic Judo Nice dispose d'effectifs plus importants et pratique une politique de recrutement dans toutes les catégories d'âges, même s'ils forment également de très bons jeunes. Par ailleurs, si on prend les effectifs des deux équipes niçoises au championnat de France 1ère division et qu'on les fusionne, je ne suis pas persuadé que cela nous permette de battre Levallois.
Quelle autre solution envisagez-vous ?
Malheureusement je n'en vois pas beaucoup. Il faudrait trouver un sponsor mais ils se font rares dans notre sport. Notre discipline est peu médiatisée et la formule des championnats de France par équipes est sans doute à revoir. Des matchs aller-retour dans les villes, par exemple, permettraient peut-être de créer un engouement et pourraient être l'occasion de développer du merchandising. Il serait intéressant de créer une commission fédérale pour réfléchir sur ce sujet. Le judo de manière générale, et les clubs en particuliers manquent de reconnaissance.
http://www.alljudo.net/actualite-judo-1465-michel-carriere-----le-plus-important--c-est-le-groupe.html